François Berthoux – In memoriam Hommage du Pr Ch.MARIAT Néphrologue CHU de Saint-Etienne

Monsieur le Professeur François BERTHOUX«…Voici désormais plus d’un demi-siècle que je vis avec cette maladie et plus d’un quart de siècle que je suis en insuffisance rénale terminale, dialysé puis transplanté. Depuis le début, j’ai su qu’il faudrait me battre et j’ai cherché à m’armer au mieux. La maladie je suis allé la chercher sur son propre terrain…. Il m’arrive de penser qu’avoir connu un tel adversaire a été une force plus qu’une malédiction…».

Cet extrait d’un entretien retranscrit dans le livre intitulé « d’autres reins que les miens », jette une lumière évidente sur la difficulté à évoquer par un de ses élèves, la carrière professionnelle du Pr François BERTHOUX, tant cette carrière est intimement et singulièrement liée à sa Vie.

Cette carrière est tout aussi intimement liée à l’histoire de la Néphrologie et feuilleter le livre de la vie professionnelle de François BERTHOUX, c’est ouvrir le Livre Premier de la Néphrologie dont les chapitres inauguraux ont été écrits par Gabriel RICHET, Jean HAMBURGER et Jules TRAEGER. Jules TRAEGER, que François BERTHOUX rejoint dans son service de l’Hôpital de l’Antiquaille à Lyon en 1964, une époque où tout reste à inventer pour cette spécialité médicale encore naissante et où toutes les audaces de pionniers téméraires (les premières dialyses, le développement des premiers traitements contre le rejet de greffe, les fondations de la réanimation médicale) sont autant d’avancées déterminantes. Jules TRAEGER, le Maître que François BERTHOUX aura admiré avec fidélité et dont il se plaisait de rappeler, non sans une certaine malice, qu’il lui avait confié, que de tous ses élèves, il était finalement le favori.

Puis, 1971-1972, l’aventure américaine, là encore auprès d’une autre figure mythique : John MERRIL à Boston, fondateur de la Néphrologie aux Etats-Unis et dans le service duquel, en 1954, est réalisée la première greffe rénale couronnée de succès. De son séjour, François BERTHOUX gardera une fascination indéfectible pour la recherche médicale américaine et au delà pour les Etats-Unis.

De retour en France, François BERTHOUX s’installe à Saint-Etienne où tout est à construire : La dialyse, la transplantation, la réanimation, l’anatomopathologie, les explorations fonctionnelles, la recherche…. Bref, un service à l’image du Maître-Jules TRAEGER, et à la hauteur des ambitions de l’élève-François BERTHOUX.

De l’épopée stéphanoise, deux traits de la personnalité de François BERTHOUX doivent, me semble t-il, être mis en lumière : ses qualités de Bâtisseur et ses qualités de Visionnaire.

Bâtisseur, quand il décide contre vents et marées d’initier le programme de transplantation rénale à Saint-Etienne, en sollicitant les services d’un jeune chirurgien lyonnais qui venait juste de se confronter aux rudiments de la chirurgie de transplantation dans le service du Pr Jean-Michel DUBERNARD. Ce jeune chirurgien, peut-être en mémoire des conférences d’internat autrefois prodiguées par François BERTHOUX mais plus sûrement parce que déjà à l’époque il avait le goût des défis et des grandes aventures humaines, ce jeune chirurgien, qui allait devenir, internationalement, une des figures les plus illustres de la Chirurgie Vasculaire et pour nous, localement, la figure tutélaire de l’activité chirurgicale de transplantation, ce jeune chirurgien accepta l’offre amicale. Et en 1979, Xavier BARRAL et François BERTHOUX réalisèrent la première transplantation rénale au CHU de Saint-Etienne, en catimini, en quasi-clandestinité. La légende dit même que l’administration hospitalière apprit la nouvelle, le lendemain de l’intervention, dans le journal LE PROGRES…

Bâtisseur, aussi, d’une Ecole de Néphrologie, construite autour du combat de sa vie, la néphropathie à IgA, et dont la notoriété a très vite dépassé les frontières hexagonales. Pendant des années, dans les congrès internationaux de Néphrologie, les 3 villes françaises les plus citées étaient Paris, Tassin (avec le Centre du Rein artificiel crée par Guy LAURENT, un autre « transfuge » de l’Ecole TRAEGER), et Saint-Etienne.

Bâtisseur, enfin, au sens premier du terme avec l’association de dialyse ARTIC 42 qu’il a créée et présidée. Véritable PME à laquelle il était profondément attachée, d’abord parce que sa mission première est de servir le patient et aussi parce qu’elle lui aura permis d’exercer ses talents d’entrepreneur et de réaliser ses « Grands Travaux » dont le dernier en date, un bâtiment de conception révolutionnaire, premier du genre en Europe, est l’ultime clin d’œil d’un visionnaire.

Car, visionnaire, il l’était.

D’abord, quand il pressent, dès les années 70, l’importance de raisonner en terme de population de patients à une époque où la Néphrologie se construisait au rythme laborieux de description de cas individuels. Cette intuition va se matérialiser par un travail méthodique et quasi-monastique de recueil des données cliniques, de collection de sérums et de matériel génétique qu’il n’aura de cesse de poursuivre tout au long de sa carrière et qui, plus de 40 ans après, constitue une des plus grandes et plus riches cohortes de patients atteints de néphropathie à IgA.

Visionnaire, aussi, à une époque où le monde médical et scientifique français n’a de yeux que pour les Etats-Unis, lorsqu’il décide, lui, l’américanophile convaincu, de se tourner vers l’Europe. Il deviendra quelques années plus tard, le président de la Société Européenne de Néphrologie et sera à l’origine des toutes premières recommandations européennes de bonnes pratiques en transplantation rénale.

Visionnaire, enfin, dans sa capacité à embrasser les avancées médicales scientifiques et techniques tout en résistant à cette tendance pseudo-moderne de sur-spécialiser la médecine et de nous éloigner du chevet du patient. La Néphrologie était pour lui une spécialité avant tout clinique, à multiples facettes et qui devait résister aux tentatives de « balkanisation » entre les tenants d’une néphrologie interniste, les tenants de la dialyse et les tenants de la transplantation.

D’aucuns auraient pu également évoquer, avec une pointe d’ironie bienveillante, le côté visionnaire de la gouvernance de François BERTHOUX, tant il est vrai qu’il était adepte, et ce, bien avant que ceci ne devienne en vogue dans les plus hautes sphères institutionnelles, du style Jupitérien. Au delà des critiques convenues, il faut néanmoins bien admettre que ce type de gouvernance n’est pas donné à tout le monde et qu’en tout cas, il impose de donner un cap précis et d’être sur le pont même en cas de forte tempête, ce qu’il n’a jamais manqué de faire.

L’héritage de François BERTHOUX est pour nous inestimable, d’abord, on l’aura compris, sur le plan matériel mais plus encore sur le plan spirituel, au sens laïque et générique du terme. Il s’agit d’un état d’esprit, celui de l’exigence de l’excellence, du goût de l’innovation, de la curiosité et de l’ouverture intellectuelles mais aussi de l’abnégation, de la résilience et du dévouement pour le patient que nous prenons en charge, en soins.

Aujourd’hui, nos prières, pour certains, nos pensées affectueuses pour les autres, vont aussi, vers ses enfants, Emilie, Nicolas, Christophe, leurs conjoints, vers ses nombreux petits-enfants, et tout particulièrement, vers son épouse, Patricia…

L’épouse extraordinaire d’un homme qui n’avait rien d’ordinaire.